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ARTHUR RANSOME



 

Que penser des traductions françaises ?


par Michel 91

 

Lorsqu'on voit les véritables charcutages que sont certaines traductions de livres étrangers, on peut se dire que, globalement, on peut être satisfait du travail accompli par l'éditeur français et la traductrice Germaine Guillemot-Magitot : l'esprit des romans d'Arthur Ransome a été respecté, leur atmosphère si particulière a été fort bien rendue... bref, tout est pour le mieux ?

Pas tout à fait, bien sûr, comme on le verra dans les lignes qui suivent. Elles ne visent pourtant pas à apporter une critique systématique, mais plutôt un éclairage sur des points qui distinguent les traductions françaises des originaux anglais.

Les titres

Arthur Ransome aime les titres courts et plutôt sybillins. Il faut reconnaître qu'ils le sont parfois un peu trop : qui pourrait deviner, en voyant un livre titré Swallows and Amazons, qu'il s'agit d'une histoire d'enfants qui campent sur une île déserte et jouent aux explorateurs et aux pirates ?

Aussi l'éditeur français en a-t-il transformés certains, en essayant au passage de les rendre commercialement plus accrocheurs, ce qu'on ne saurait lui reprocher. On peut ainsi distinguer dans les titres français :

   – ceux qui sont identiques aux titres anglais : Hirondelles et Amazones, Le club des Foulques, Nous ne voulions pas aller en mer.

   – ceux qu'on peut considérer comme des améliorations des titres anglais : Le trésor de Peter Duck et Pigeons voyageurs et chercheurs d'or, plus explicites que Peter Duck et Pigeon Post et représentant mieux le contenu des romans.

   – Hirondelles dans la neige est une traduction très libre de Winter Holiday, qui a d'ailleurs failli me faire passer définitivement à côté de la série quand on m'a proposé de le lire, car le gamin de 10 ans que j'étais a d'abord refusé, croyant qu'il s'agissait d'un recueil de poésies !

   – Le vallon des Hirondelles, traduction de Swallowdale : il s'agit là d'une erreur, ce devrait être Le vallon de l'Hirondelle.Car le nom que les Hirondelles veulent donner au vallon dans lequel ils vont s'installer, c'est celui de leur bateau l'Hirondelle, qu'ils viennent de perdre, pas le nom collectif qu'ils se sont donné. Il y a dans la version française du roman un passage explicite où Micky dit : "On donne bien à des villes ou des pays le nom d'un roi, d'un prince ou de toutes sortes de gens. Le nom de notre bateau, c'est encore bien mieux"... tout en faisant adopter pour nom "Le Vallon des Hirondelles", en toute contradiction ! (le texte anglais, très clair à ce sujet, dit : "Let’s call it Swallowdale. Places get called after kings and princes and all kinds of people. It’s much more fun to call a place after a ship. Let’s call the valley after Swallow". Et Swallow, c'est bien l'Hirondelle).

Quant à la jaquette française que vous pouvez voir par ailleurs sur cette page, elle est jolie mais constitue en quelque sorte un "double contresens" puisqu'elle représente un vallon survolé par quatre hirondelles, laissant entendre à celui qui découvre le livre que le nom de ce vallon vient des oiseaux qui y vivent...

Les francisations

Dans Hirondelles et Amazones, premier titre de la série, les prénoms et tous les noms de famille ont été francisés, et l'action a été transposée en France, en essayant de gommer tout ce qui était anglais. Le porridge du petit déjeuner est par exemple remplacé par du... racahout (il a fallu que je consulte un dictionnaire pour savoir ce que c'était !), le "capitaine Flint" va rencontrer son éditeur à Paris et non à Londres, etc...

C'est probablement Georges et Tatiana Rageot, directeurs de la collection "Heures Joyeuses" en 1934 chez Aubier, qui ont pris cette décision, hautement contestable au vu des résultats, mais qu'il faut replacer dans le contexte de l'époque.

Lorsque plus tard ils ont fondé les éditions G.T. Rageot et décidé de faire traduire les autres titres et d'éditer (à partir de 1945) le reste de la série, ils ont maintenu ce choix de francisations. Pas pour longtemps car, dès la traduction du Vallon des Hirondelles, il apparut que ce n'était plus possible en raison des nombreuses et précises références géographiques anglaises. La décision fut alors prise de redonner aux personnages leurs noms anglais, tout en gardant les prénoms francisés, et de "relocaliser" l'action en Angleterre. Quant aux lieux, c'est un mélange de noms francisés et de noms anglais qui fut choisi, dans les premiers titres du moins.

Si on prend l'exemple des Amazones, elles s'appellent donc Nancy et Peggy Blackett dans les originaux anglais, Marion et Margot Blancard dans Hirondelles et Amazones, Marion et Margot Blackett dans les autres titres français. Et ainsi de suite...

Quelques coupures

Les originaux anglais font en moyenne 300 pages bien remplies et avaient parfois du mal  tenir dans le format de la collection "Heures Joyeuses". Aussi y a-t-il ça et là des coupures, heureusement sans grande portée, touchant la plupart du temps les dessins (certains rognés, quelques autres supprimés) et plus rarement des portions de texte.

La plus gênante concerne Le Vallon des Hirondelles, dans lequel a été supprimé un passage de cinq pages où l'on voit les enfants monter une "expédition de secours" pour aller chercher Roger, qui s'est fait la veille une entorse et a couché dans une hutte de charbonniers située dans la vallée voisine. Curieusement, l'itinéraire de cette expédition figure quand même sur la carte incluse dans l'édition française.

La navigation

Elle est omniprésente dans les livres de la série et Ransome était lui-même un excellent navigateur, passionné au point d'avoir acquis dans la seconde moitié des années 30 un cotre qu'il rebaptisa Nancy Blackett et sur lequel il navigua beaucoup. Tout ce qui touche aux activités nautiques est très naturel pour les anglais, à tel point que Ransome, qui a utilisé une bonne centaine de termes de marine dans Nous ne voulions pas aller en mer, n'a pas éprouvé le besoin de les expliquer, pas plus que son éditeur, et c'est dans la version française qu'un glossaire nautique a été ajouté en fin d'ouvrage, contenant malheureusement des erreurs parfois sérieuses.

Il faut dire que Germaine Guillemot-Magitot, traductrice pourtant très compétente, devait avoir de très faibles connaissances en navigation et a certainement souffert pour traduire certains passages des livres. Par exemple on la voit à un certain moment confondre louvoyer et empanner, son vocabulaire marin est souvent inadéquat voire trompeur, et sa description de la course entre les voiliers l'Hirondelle et l'Amazone qui termine Le Vallon des Hirondelles comporte un passage hautement fantaisite. Alors, si à la lecture d'une séquence nautique d'un des livres, quelque chose vous semble bizarre, vous êtes certainement en présence d'un "bug" de traduction.

Pour terminer

N'allez pas croire, en lisant les critiques ci-dessus, que je trouve médiocres ces versions françaises. Les défauts évoqués sont secondaires et, à part la francisation vraiment abusive du premier livre et ses conséquences sur les suivants, on ne peut guère leur faire de reproche vraiment sérieux.

Dernière mise à jour le 6 janvier 2015 par Michel 91 et Serge SOHIER  

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