Paysages et décors
La
première chose que l'on constate à la lecture des "Club des cinq"
d' Enid
Blyton, c'est que l'action ne se déroule jamais à la ville. Tout au plus des parties du
récit ont pour cadre de petits villages à la mer ou à la campagne. Peut
être cela était-il voulu par Enid Blyton . On peut penser que des paysages de mer, de
campagne, et de landes sont plus immuables et de nature à évoluer moins rapidement que
des décors citadins. Les paysages sont plus imaginés, inventés, que décrits. Peut
être y a t-il là une des raisons de la "désaffection" des enfants
d'aujourd'hui pour la série. (Outre le langage des enfants, qui a sérieusement évolué,
et l'absence de sujets d'actualité). Les
tentatives de "mettre au goût du jour" , d'adapter la série à notre époque
est vouée à l'échec. Le texte marque son temps, et c'est bien ainsi. Adapter "sans
famille", ou la Comtesse de Ségur, par exemple, aux années 80, 90 n'apporterait
rien de plus... bien au contraire. Voici des exemples choisis dans les titres suivants :
Le club des cinq va camper
Les paysages imaginaires. Le club des cinq va camper. Le lieu de l'action, un plateau désertique, est isolé, et semble étendu. "Dire que nous allons vivre sous la tente, en pleine campagne, loin de tout le monde, et que nous pourrons faire ce que nous voudrons sans personne pour nous donner des ordres" dit Claude. C' est évidemment un lieu privilégié, isolé, ou les enfants sont maîtres de leurs décisions. (M. Clément qui les accompagne, est distrait, et s'installe à l'écart). "Nous seront voisins tout en gardant notre indépendance" dit M. Clément. "Les habitants ne sont pas nombreux...
cette terre qui est fort aride" explique François. Ainsi, les enfants sont entre eux et ils pratiquent un camping bien différent de celui que l'on pratique aujourd'hui... Un camping que l'on qualifierait maintenant de "sauvage", dans un lieu désertique. Ils devront donc se débrouiller seuls face aux méchants. Ils sont loin de la ville, il y a peu d'habitations, et pas de routes ou presque. Et l'on nous apprend que l'hiver, il faut dégager les moutons à la pelle, car ils sont recouverts de neige. "Le plateau s'étendait à perte de vue". "Ces cris au-dessus de sa tête venaient d'un courlis, l'oiseau de la solitude" "Ils déjeunèrent au sommet d'une colline qui dominait une vaste prairie..." Le décors est planté. C'est un monde désuet, même pour l'époque : Le vieux "Thomas à la jambe de bois" habite une cabane... La locomotive des "trains fantômes" est une locomotive à vapeur, démodée, mystérieuse et brinquebalante. Les enfants n'ont pas besoin de jeux ou de jouets, Ils ne s'ennuient pas, leur seul loisir, leur plaisir, c'est d'êtres seuls et dans une contrée perdue... ou une aventure les attend.
Le lieu de l'action, des landes désertiques, un étang mystérieux. "François a choisi, m' a t il dit, les régions les plus incultes et les plus abandonnées qu'il ait pu trouver dans un rayon de cinquante kilomètres", explique Annie. "Et nous marcherons pendant des heures et des heures sans voir autre chose que des bêtes sauvages !" dit-elle encore. Une fois de plus, Enid Blyton a choisi un décors solitaire et désertique, pour raconter une nouvelle aventure du club des cinq. Les noms des lieux sont évocateurs, et racontent en quelque sorte le paysage : Val du Roc Perdu, Bois des ronciers, Colline aux lapins, Val des lièvres... Le paysage est comme rêvé. La saison choisie cette fois est l'automne. Aussi le paysage est-il présenté sous la pluie, puis le soleil. Un soleil d'automne. On traverse des champs, on escalade des échaliers, on suit des sentiers, des chemins creux. Un marais avec sa vase et ses dangers en rajoute encore dans le "sauvage". Pas de routes, de véhicules, de modernité ! L'action s'accorde au décors : Cloches au son sinistre tintant dans la nuit. Le récit donne l'impression que "les eaux dormantes" est un lieu abandonné, où il ne vient jamais personne. L'eau est immobile, le silence impressionnant. L'endroit est irréel...
Le club des cinq au bord de la mer.
Le lieu de l'action, des collines et une côte dangereuse et déchiquetée. "Je me souviens seulement que c'était un endroit sauvage, désolé." dit le "porteur" de la petite gare. "Je n'aurais pas pensé que l'on puisse choisir un tel lieu pour des vacances! Pas de jetée, pas de marchand de glace, pas de pâtisserie, pas de cinéma, rien du tout." ajoute-t-il. Encore un décors désert et éloigné de tout, qui semble bien impropre à des vacances... Le club des cinq, comme l'a voulu Enid Blyton, aime la simplicité, la nature, le naturel, et les plaisirs tirés des beautés sauvages. Peut être Enid Blyton exprime-t-elle ses goûts propres à travers ses récits... On sait déjà que le personnage de Claude est une de ses représentations... Sa propre personnalité et ses préférences se retrouvent certainement dans la peinture de ces décors. "L'air sentait bon le chèvre-feuille, les coquelicots et les bleuets émaillaient de tache de couleur les grands champs ensoleillés." lit-on au début du livre. ( ce qui "date" le récit ! Plus de coquelicots et de bleuets, les désherbants chimiques sont passés par là !) Ce n'est pas, à mon avis par seul souci décoratif, qu'Enid Blyton s'attarde sur ces détails champêtre. Le chaud soleil, le premier jour de liberté, les vêtements légers, la mer bleue... tout cela doit réveiller le souvenir si particulier du premier jour des grandes vacances... qui ne s'en souvient pas ? On est presque aérien, on "sent" pour la première fois le soleil sur sa peau, la nature devient un décors que l'on ressent comme un plaisir nouveau... "Le pays tout entier dormait dans le soleil et le silence". C'est une journée idéalisée, ou tout est bon et doux. Puis on trace le décors de l'aventure : "Le sentier descendait entre deux hautes falaises". "Des grottes, encore des grottes et toujours des grottes !" "Là, d' immenses troupeaux paissaient dans le silence d'une nature heureuse". (on remarquera à l'occasion que dans tous les lieux décrits règne le silence et le calme...)
C'est toujours l'atmosphère "Enid Blyton, et club des cinq". Ce n'est pas un lieu de vacances banal. Ni hôtel, ni terrain de camping, pas de station balnéaire ou de plage surchargée de monde. Une ambiance bien particulière. Les enfants d'aujourd'hui pourraient-ils, voudraient-ils passer des vacances de ce genre... en auraient-ils envie ? Vacances du passé, vacances dépassées ? Les enfants vivent autrement de nos jours... Le "besoin d'avoir" est passé par là... L'argent de poche est devenu partie intégrante du "budget"... Les plaisirs simples ne suffisent plus toujours ! Mais certains enfants lisent encore "le club des cinq", et cela leur plait toujours...
Le club des cinq et les papillons. Le lieu de l'action, le Mont Perdu, (tout un programme !), des collines élevées... "Sa situation isolée, son éloignement de tout centre, lui avait autrefois valu son nom". "Idéal pour camper, déclara-t-il, enchanté, Une belle vue, de l'herbe tendre pour nous asseoir, des genêts pour nous abriter et de l'eau". François est ravi de l'endroit découvert par Dagobert. Toujours un peu le même : abrité, avec une belle vue, et une source ! Là encore, le club des cinq ne demande pas de jeux, d'activités, d'animations... Le plaisir d'être réuni dans une nature sauvage, préservée, lui suffit à être heureux. On retrouve évidemment l'endroit isolé, perdu, l' agrément et la
beauté du paysage.
"Comme nous nous amusons bien ! Non,
décidément, je ne veux pas grandir !" pense Annie.
Enid Blyton invente ses paysages et les fait coller à l'ambiance qu'elle veut nous faire partager. Elle veut nous montrer ses jeunes héros libres, seuls ou presque au sein d' un paysage immense. Nous faire partager ce plaisir d'être "petit" face à la nature étendue jusqu'à l'horizon. Sans doute y-a-t-il des ville plus loin, mais leur tumulte n'arrive pas jusqu'à nous. Les aventures ont pour cadre : côtes, landes, campagnes, et petits villages... Les maisons sont toujours anciennes, avec un passé historique et mystérieux : " C'était une solide demeure
semi-paysanne, semi-bourgeoise, bâtie de granit et d'ardoises à la mode du temps
passé", nous dit-on de la Villa des Mouettes, la maison de Claude et de ses
parents. Le "Pic du Corsaire", dans "le club des cinq en
vacances", nous est décrit ainsi : Et les exemples abondent, de la "Taverne de la Chouette", (Le club des cinq en péril), en passant par la demeure du professeur Lagarde, (le club des cinq en embuscade), ou la "Ferme des Trois Pignons", (Le club des cinq et le coffre aux merveilles). Ainsi, les enfants ne revivent pas leur quotidien, mais vivent par procuration des aventures dans des lieux et des milieux qui n'existent plus, ou qu'ils ont peu de chance de fréquenter. C'est la part du rêve . Remarquons aussi que les décors et les paysages du "club des cinq", paysages rêvés et imaginaires, réalistes, mais pas réels, ont l'avantage d' apparaître sans exotisme, dans les traductions étrangères de la majorité des pays...
Serge |