La
longévité des livres d’Enid Blyton
par
Nimi
Kurian,
1997
Enid Blyton
Le
monde merveilleux de lutins, de gobelins, d’animaux et d’aventures créé
par Enid Blyton perdure. En dépit du criticisme dont cette Anglaise a
fait l’objet, son image ne s’en est pas trouvée ternie pour autant.
Pour quelles raisons les livres de Blyton passionnent-ils des millions
d’enfants ?
La
mort d’Enid Blyton en 1968 a touché des générations d’enfants à
travers le monde. Leur univers de lutins, de gobelins, d’enfants à
l’esprit aventureux et de gitans avait disparu à tout jamais. Seuls les
critiques et les bibliothécaires se sont réjouis du décès de ce grand
auteur de la littérature enfantine : ils se sont sentis débarrassés
de son œuvre !
Née
il y a cent ans, Blyton compte plus de sept-cent romans, dix-mille
nouvelles et trois-cent inédits à son actif. Ses livres sur les animaux,
les oiseaux, les farfadets et les elfes ont fait les délices des enfants
du monde entier. La bibliographie de Blyton, qui est l’un des auteurs
les plus prolifiques pour enfants, ne peut être ni ignorée ni méprisée
des littéraires. On dit que ses ouvrages ont été traduits en quarante
langues et vendus à plus de cent millions d’exemplaires. Ses livres ont
été à l'origine d’un dessin animé et de quelques séries télévisées.
Toutes ces histoires ‘imagées’, contes de fées, et romans
d’aventures palpitantes ont obtenu le succès le plus durable.
Des
milliers d’enfants du monde ont suivi avec délectation les séries du
Club des Cinq, du Clan des Sept, des Cinq Détectives, pour ne citer
que ces trois-là car Blyton en a écrit de nombreuses autres. En effet,
les jeunes Indiens qui ont lu et aimé les livres de Blyton étaient étonnés
quand, adultes, ils s’étaient aperçus que les enfants mis en scène étaient
non pas indiens mais anglais !
« C’est un auteur non seulement raciste mais un brin
sexiste » fait remarquer la critique littéraire. On dit
qu’elle emploie un vocabulaire limité, un style simple, un répertoire
archaïque. Même dans le temps, il n’était plus à la mode de faire
allusion à du racisme.
Fatty
se rappela alors avoir rencontré à Londres des étudiants indiens.
« Certains
portaient un turban, mais avec des vêtements européens ordinaires. Ils
ne tenaient pas à grelotter dans notre climat froid, je suppose ! Je
peux donc me contenter de mon turban et de vêtements courants. Mon visage
est tellement bronzé qu’il suffit à me donner le type indien ! »
Le
chef des détectives dénicha dans sa malle un vieux pantalon étriqué
ainsi que des savates usées. Il l’allongea à la taille en ceignant
celle-ci d’une large ceinture d’étoffe sale. Par-dessus, il enfila
une vieille redingote fripée.
« Me voici transformé en étudiant étranger natif du lointain
Orient ! se murmura-t-il à lui-même. En avant, Fatty ! Vite au
domaine de Glenmore ! »
(Le mystère du caniche blanc)
La peinture
des personnages provenant des pays orientaux ainsi que l’avait décrite
Enid Blyton n’a pas échappé à l’attention de certains critiques.
Rien d’étonnant donc à ce qu’ils n’aient pas hésiter à qualifier
la romancière de xénophobe.
L’écrivain faisait ressortir aussi de ses livres des querelles garçons-filles.
Elle mettait en scène des fillettes assez « gnangnan », pour
emprunter leur terme aux critiques. Pourquoi Blyton laissait-elle en arrière
les filles qui n’avaient pas le droit de participer à des expéditions
nocturnes en compagnie des garçons ? Pourquoi répartissait-elle
ainsi les rôles homme-femme ? Les hommes et les femmes sont égaux,
c’est bien connu. Alors, pourquoi l’auteur nous montrait-elle des
filles qui étaient peureuses, ‘casanières’ et qui avaient
constamment besoin d’être protégées par leurs frères ? Blyton
savait-elle de quoi elle parlait ?
« (…)
Nous aimerions bien coucher aussi dans l’écurie, Annie et moi, dit
Claude. Vous permettez, monsieur Girard ?
— Non, vous avez des lits, répliqua le fermier. Il y a des choses que
les filles ne font pas… »
(La
locomotive du club des cinq)
Dans
son livre « A Childhood At Green Hedges », Imogen Smallwood,
la fille benjamine d’Enid Blyton, fait le portrait d’une mère
inattentive. Elle se souvient de sa mère comme d’une mère trop occupée
par son ouvrage. La femme qui
trouvait on ne sait comment assez de temps pour répondre aux lettres que
lui envoyaient des millions d’enfants du monde entier était prise à un
tel point que c’est à peine si elle accordait une heure par jour à ses
propres filles.
« Ce n’est pas ‘politically correct’ » accuse la
critique littéraire étrangère. « De quel droit certains mauvais
dans Oui-Oui Enid Blyton les dépeignait-elle de caricatures de Noirs ? »
En
effet, dans nombre de ses ‘belles histoires’, il est question
d’animaux en peluche qui rient des jouets-négrillons.
Heureusement, dans les versions les plus récentes de Oui-Oui, ce
petit pantin ne se moque plus des habitants ‘noirs’ du Pays des
Jouets. Les Oui-Oui des années 60 ont été modernisés pour coller au
monde actuel. « Après tout, ç’a été une bonne chose, opinent
certains professeurs et pédagogues britanniques, parce que si le
texte original de Blyton n’avait pas été modifié, cette série serait
déjà morte. »
La
romancière anglaise ne se moquait non seulement du peuple ‘noir’ mais
même de l’homme ‘blanc’. Dans certains de ses titres tels que ‘Le
club des cinq et le coffre aux merveilles’ ou ‘Le mystère du flambeau
d’argent’, Blyton évoque les Américains, qu’elle dépeint comme étant
des hommes d’affaires ‘riches-avares’. Aussi les critiques
n’ont-ils pas manqué d’éreinter avec violence les propos qu’elle
tenait au travers de ses livres.
Si
certains critiques sont jaloux du succès étourdissant qu’ont rencontré
les livres de Blyton, d’autres n’ont pas les yeux dans leur poche :
ils voient d’un œil pervers l’œuvre de cette femme de lettres
anglaise.
Dans ‘Hurrah for Little Noddy’ (non traduit en France), Enid
Blyton fait entrer Oui-Oui dans le lit de son ami le nain Potiron. Cette
fois, l’auteur n’y est pour rien : elle a écrit cela en toute
innocence ! Ce n’est pas la faute à Blyton si le monde des
perversions y voit du mal.
Les amateurs passionnés des livres d’Enid Blyton ont le sentiment que
les critiques se sont dépêchés de décrier cet écrivain. Pour eux,
l’influence des livres de Blyton était néfaste. Elle nous raconte des
histoires d’agrément qui se passent dans un certain milieu social. Les
fans ardents de cet écrivain ne partagent pas forcément tout ce qui
s’est dit sur Blyton dont les livres sont très marqués des années 50.
Quant aux enfants indiens, ils ne prennent nullement les personnages de
Blyton pour des modèles à imiter en tout. Les
récits d’aventure de Blyton ont beau être invraisemblables, les
enfants se délectent de ses histoires
Les
histoires de Blyton ont été traduites et appréciées des générations
de petits lecteurs anglais ou étrangers. Encore que les thèmes étaient
répétés d’histoire en histoire, de titre en titre, de série en série,
son style d’écriture convenait très bien pour se familiariser avec la
lecture. Ses romans leur donnaient le goût de lire. Point n’était
besoin de suivre l’intrigue avec un dictionnaire ou un lexique à portée
de main. Et, en fait d’intrigue, elle était apparemment bien menée
pour captiver les enfants.
Les jeunes héros et héroïnes savaient mieux que personne faire
la différence entre le juste et le faux. Ils n’étaient jamais égoïstes
mais toujours obligeants. Ils ne manquaient pas de s’avouer si une
plaisanterie de mauvais goût était allée un tantinet trop loin. Les garçons
se faisaient un devoir de prendre les filles sous leur aile. Ils
participaient avec plaisir aux besognes ménagères. Les enfants d’Enid
Blyton aimaient les animaux, les oiseaux et les choses de la nature. En
d’autres termes, ses livres ont plu à des millions d’enfants de la
planète.
Dans ses livres d’histoires d’écoles, Enid Blyton évoque des
pensions où il fait bon vivre, malgré la présence de professeurs qui
pourtant savent parfois rire des tours qu’on leur a joués ! Les
jeunes pensionnaires ne se privent pas de faire mille farces à tout le
monde. Bref, Blyton nous montrait que la vie de pensionnaire était
amusante. Garçons et filles étaient vifs et sympathiques, compatissants
et avenants. Les personnages clés qui animent les séries école Enid
Blyton se faisaient un plaisir d’aider les ‘nouvelles’ à se sentir
moins perdues et réconforter les malades. Ils se trouvaient confrontés
à des problèmes comme le vice, la tricherie, le vol ou la jalousie. Les
livres de Blyton incitent à l’espièglerie et à l’aventure, toutes
deux absentes dans notre existence quotidienne morne.
Les tout premiers livres d’Enid Blyton ayant paru il y a plus de cinq décennies,
c'est fou comme ça se vend toujours aujourd'hui, alors que c'est quand même
démodé. Reste à voir si son souvenir se pérennisera auprès des générations
futures…
Nimi
Kurian, 1997.
L’édition
originale de cet article de presse a paru le 26 juillet 1997 dans le Dina
Thandi, premier quotidien régional tamoul.
Traduit
du tamoul par Srikrishnan Srinivasan.
(En rouge
les textes extraits).
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