Enid Blyton

 

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ENID BLYTON L’ÉCRIVAINE

Par Anita BENSOUSSANE




Où Enid BLYTON trouvait-elle ses idées de romans ? Anita BENSOUSSANE, auteure du présent article, nous éclaire sur la méthode de travail de cette grande écrivaine. Comment devint-elle femme de lettres ? et comment écrivait-elle ses récits ? En faisait-elle le plan, ou bien, les construisait-elle en cours de route ? Lequel ou lesquels de ses personnages furent-ils basés sur des gens réels ? Près de 40 ans après sa disparition, la créatrice du Club des Cinq et des OUI-OUI tient encore une grande place dans le cœur de millions d’enfants !


COMMENT ENID BLYTON DEVINT-ELLE ÉCRIVAINE ?


Dans son autobiographie, intitulée “The Story of My Life (1952)”, Enid BLYTON dit que dès son plus jeune âge, elle aimait inventer des histoires plus qu’autre chose. Étant enfant, elle se mettait au lit à l’heure du coucher, et alors, des histoires affluaient son esprit. « Elles étaient confuses, un peu comme le sont les rêves, et pourtant, chacune possédait son fil distinct qui lui était propre, son début, son milieu, sa fin. » À l’époque, Enid BLYTON ne se rendit pas compte qu’elle n’était pas comme les autres, et elle en fit la remarque dans une missive à l’adresse du psychanalyste Peter MCKELLAR le 15 février 1953 : « Je m’imaginais que tous les enfants avaient « de ces histoires nocturnes » et je fus surprise le jour où je m’aperçus qu’il n’en était rien ». Elle décrivait ses histoires nocturnes comme étant des imaginations de toute sorte sous la forme de récits, avant d’ajouter : « C’est à cause de cette imagination que je voulus écrire, coucher sur le papier ce que j’avais vu, ressenti et entendu dans mon imaginaire. »


La jeune Enid souhaitait ardemment développer ses talents d’écrivaine et de conteuse en herbe. Elle racontait des histoires à ses frères, composait ses propres poèmes d’après la rime et le schéma rimique de comptines populaires, tenait un journal intime, rédigeait des lettres à des destinataires vrais aussi bien qu’imaginaires, participait à des concours littéraires et, en classe, prêtait beaucoup d’attention aux leçons d’anglais. Elle lisait aussi énormément. En plus d’œuvres fictives et poétiques, elle dévorait les biographies d’auteurs célèbres et elle empruntait en bibliothèque des livres sur l’art de l’écriture.


Dans son ouvrage « The Story of My Life », le conseil qu’Enid BLYTON donne à l’enfant qui se sent l’âme d’un écrivain est le suivant :«Repais ton esprit de tout plein de choses intéressantes : plus tu y en rajoutes, et plus il en découlera. Rien de ce qui n’a pas été déjà cultivé dans ton esprit, sous une forme ou une autre, ne risque d’en ressortir. À leur éclosion, ces idées peuvent avoir été changées, remaniées, polies et être devenues étincelantes, presque méconnaissables ; il n’en reste pas moins que c’est toi qui les y as semées en premier lieu. Tes pensées, tes actions, tes lectures, ton sens de l’humour : tout cela s’empaquète dans ton esprit et, avec un peu d’imagination, le voilà qui se retrouve avec un assortiment de choix variés dans lequel puiser ! »


Enid commença d’envoyer ses manuscrits à des maisons d’édition pendant ses années d’ado. Seulement, à cette époque de sa vie, elle reçut d’innombrables notes de refus. Loin de la décourager, elles ne firent qu’accroître son désir de persévérer dans son écriture. « C’est en partie cette lutte que vous livrez qui vous est d’un si grand secours, qui vous donne de la résolution, de la force de caractère, de l’assurance, qualités qui vous sont précieuses quel que soit le métier que vous exercez ; c’est tout particulièrement le cas de celui des lettres. » Comme nous le savons, les écrits d’Enid BLYTON lui valurent une notoriété sans pareille, à commencer par les articles de journaux et autres poèmes qu’elle fit paraître alors qu’elle était âgée d’une vingtaine d’années seulement.


COMMENT ENID BLYTON ÉCRIVAIT-ELLE SES LIVRES ?


Assise tantôt dans son cabinet de travail tantôt au jardin, sa machine à écrire posée sur ses genoux, Enid BLYTON dactylographiait ses histoires. Elle n’apprit jamais à taper sans regarder le clavier. Faute de mieux, elle se servait de ses deux index, et pourtant, elle réussissait à « frapper » avec rapidité et précision.


Dans The Story of My Life, Enid explique qu’elle ne préparait pas ses œuvres de fiction avant de s’atteler à leur écriture. Le plus souvent, elle n’avait pas d’idée bien claire sur le cours que leur intrigue allait suivre. À défaut, elle laissait, purement et simplement, la trame scénaristique se dérouler dans son esprit au fur et à mesure qu’elle la tapait, comptant, ce faisant, sur son imagination féconde plutôt que sur une invention consciente. Ce processus, elle le comparait à celui de visionner « un écran de cinéma privé dans ma tête et, ce que je vois, je le transcris. » Dans un courrier qu’elle adressa à Peter MCKELLAR le 26 février 1953, elle ajouta : « Seulement, il s’agit d’un écran 3D, avec effets sonores, odeurs, goûts et sentiments palpables ! »


À l’entame d’un nouveau livre, les personnages de ce dernier faisaient d’abord leur apparition dans la tête d’Enid BLYTON : « Ils se tiennent là-haut, dans l’œil de mon esprit, et je peux les voir aussi nettement que je vous vois, vous, quand je vous regarde. J’arrive à distinguer leur taille, leur teint, leur corpulence. Chose plus curieuse encore, et sans trop savoir comment, il m’est possible d’entrevoir jusque dans leur personnalité. Je sais s’ils sont gentils ou cruels, s’ils ont un tempérament emporté, s’ils sont généreux, amusants ou fourbes ! » Ensuite, elle visualisait le décor - un bois, par exemple – et, sa curiosité éveillée, elle entreprenait d’explorer les lieux. Une fois les personnages et le décor campés, elle se mettait en devoir de taper à la machine et, à partir de là, l’histoire coulait à flots du bout de ses doigts, à bride abattue.


« C’est comme si je regardais défiler une histoire sur un écran brillamment éclairé. Les personnages vont et viennent, parlent et rient, il leur arrive toutes sortes de choses. Le récit tout entier scintille sur mon « écran » privé dans ma tête, et il ne me reste plus qu’à mettre par écrit ce que je vois et entends. » 


L’histoire sort dans son intégralité depuis le début jusqu’à la fin, sans que j’aie à m’arrêter - ne fût-ce qu’un instant - pour réfléchir. Si je tentais de concevoir le roman ou de l’inventer de toutes pièces, comme le font certains écrivains, je n’y parviendrais pas. D’abord, un tel procédé me barberait prodigieusement. Et puis, il lui manquerait la « verve », les touches extraordinaires, les idées surprenantes qui découlent de mon imagination. Les personnages de mes romans se livrent à des plaisanteries auxquelles je n’aurais jamais pu penser de mon propre chef. Je ne suis là qu’une simple badaude, un reporter, une interprète, appelez-moi comme bon vous semble. »


Sa lettre à l’adresse de Peter MCKELLER en date du 15 février 1953 aborde un point analogue sur le processus de l’écriture :


« Je ne sais pas d’avance ce que va dire ou faire untel ou unetelle. J’ignore ce qui va se passer. Je suis aux premières loges pour pouvoir écrire une histoire et, en même temps, la lire pour la première fois. À un moment donné, un personnage fait une répartie, une sacrée, qui me fait m’esclaffer à mesure que je la tape à la machine, et je me dis : « Ma foi, elle est bien bonne, celle-là. Jamais je n’aurais été capable d’y songer de moi-même, à supposer que j’aie passé cent ans à me creuser la cervelle ! » Enfin, je me fais la réflexion : « Mais alors, qui y a pensé dans ce cas ? »


ENID BLYTON DEVAIT SÛREMENT AVOIR PRÉPARÉ SES HISTOIRES UN TANT SOIT PEU AVANT DE LES ÉCRIRE ?

Cela vaut la peine que l’on explore un peu plus dans le détail la capacité présumée qu’avait Enid BLYTON de n’avoir qu’à ouvrir les écluses de son imagination pour laisser libre cours à une histoire, sans que celle-ci n’ait fait l’objet d’une quelconque planification au préalable de sa part. Les critiques ont tout naturellement remis en cause cet étrange pouvoir dont elle disait se prévaloir et qui, à l’en croire, lui aurait permis de réussir un tour de force d’une telle ampleur. Aussi la question gagne-t-elle à être examinée de plus près.


Dans le chapitre XIV de The Story of My Life (1952), Enid BLYTON nous accompagne pas à pas dans les différentes étapes qui constituent l’écriture d’un livre, en citant en exemple The Enchanted Wood (1939). Ce choix se révèle assez curieux, car plusieurs éléments clés de l’ouvrage en question qui, par un drôle de concours de circonstances, fut écrit treize ans avant The Story of My Life, avaient été précédemment employés dans des ouvrages antérieurs. Lesdits éléments peuvent avoir fusé dans son esprit à l’improviste pendant qu’elle travaillait sur The Enchanted Wood, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit aucunement d’inventions neuves. Cela, Enid BLYTON n’en a pas conscience, car elle présente quelques-unes de ces créations-là comme ayant surgi dans son imaginaire à brûle-pourpoint au moment où elle composait l’ouvrage, en concluant qu’elle en était aussi étonnée que quiconque.


Elle nous raconte que ce sont par les personnages de Jo, Bessie et Fanny qu’elle prit le départ. Ensuite, elle se retrouva à suivre un chemin sinueux qui serpentait dans un bois existant dans son imagination, et tout à coup, elle vit « l’étrange Arbre de tous les Ailleurs, un arbre dont la cime touche le ciel, et qui abrite fées et lutins. Jamais auparavant je n’en avais entendu parler, pas plus que je ne l’avais vu, mais le voilà qui s’offre à mes yeux, jusque dans ses moindres détails. » La vérité, c’est qu’Enid BLYTON connaissait depuis déjà trois ans environ l’Arbre de Tous les Ailleurs, avant qu’elle n’écrivît The Enchanted Wood, puisque ce fameux arbre avait déjà vu le jour, sous sa plume, dans The Yellow Fairy Book (1936).


Enid BLYTON enchaîne avec sa description de l’ascension de l’arbre dans son imagination et la vision d’une porte en haut de celui-ci : « (…) avant même que je la frappe, elle s’ouvre pour livrer passage à un quidam au visage rondelet et rougeaud et aux yeux brillants, qui me sourit de toutes ses dents. Je sais qui c’est, même si je ne l’avais encore jamais vu de ma vie. Il s’agit de Rond-de-Lune, bien entendu. » Cette fois encore, une nouvelle enquête révèle qu’Enid BLYTON avait créé ce même personnage par le passé. Lui aussi avait apparu dans The Yellow Fairy Book, sa chambre ronde et son « toboglisse » avec.


Et Enid BLYTON de reprendre ses explications à coups de plume fougueux : « J’entends un tintamarre insolite qui ressemble à une espèce de tintement, de cliquètement. Qu’est-ce donc que cela ? Mais, vous, le savez, vous qui avez lu le livre. Seulement, à ce moment, l’écriture de l’histoire n’a pas encore démarré, alors moi, je l’ignore. Je suis obligée de regarder pour voir ce qui fait le bruit. » C’est le Bonhomme Casseroles, avec son harnachement de pots et de poêlons, mais Enid BLYTON aurait dû s’en douter, parce que ce personnage lui était apparu en rêve treize ans plus tôt, c’est-à-dire en 1926, année où elle écrivit The Enid Blyton Book of Brownies.

Elle raconte qu’en suivant Rond-de-Lune et Bonhomme Casseroles le long de l’Arbre de Tous les Ailleurs, elle arrive sur la dernière branche pour découvrir « une petite échelle jaune qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, s’étire depuis la branche la plus haute, passe au travers d’une trouée pourpre percée dans le nuage qui coiffe la cime de l’Arbre ». « Aussi surprenant que cela puisse paraître » n’est peut-être pas le terme le plus approprié, pour la bonne raison que l’échelle tout comme le nuage en question avaient l’un et l’autre déjà été mis en scène dans The Yellow Fairy Book.


Ainsi s’avère-t-il, à la lecture de The Story of My Life, qu’Enid Blyton rend un compte quelque peu romancé de l’écriture de The Enchanted Wood, en embellissant la réalité au lieu de la dépeindre telle qu’elle était. Sa version des faits témoigne d’une compréhension très fine de son inventivité, sans pour autant qu’elle ne brosse le portrait de l’exacte vérité de ce qui, à l’évidence, constituait un processus beaucoup plus complexe.


Cela me fait penser aux notes compilées par Enid BLYTON pour sa saga de romans scolaires « MALORY SCHOOL ». Ces notes furent rendues publiques pour la première fois par Tony SUMMERFIELD dans un article qu’il rédigea et qui fut publié dans le numéro 17 du Green Hedges Magazine paru à Noël en l’an 1995. Lesdites notes existent pour chacun des six tomes que compte la série, sauf que Tony SUMMERFIELD choisit d’étudier à la loupe celles se rapportant à « Last Term at Malory Towers »*, titre sorti en librairie en 1951. Au moment de démarrer l’écriture d’un nouvel opus de la série, Enid BLYTON commençait par dresser la liste des personnages du volume précédent, avant de résumer sur deux pages le contenu prévu de celui « sur l’établi ». Ainsi, les notes destinées à Last Term at Malory Towers comportent-elles des intrigues qui n’ont pas intégré la version définitive du livre, comme par exemple le décès du père de Brigitte ou l’amitié de cette dernière avec Amanda. D’autres intrigues proposées concernant Bella, les sœurs jumelles Corinne et Kate, ainsi que certains autres personnages, peuvent avoir été rejetées par Enid BLYTON à cause de la similitude des incidents qu’on trouve dans sa série Deux Jumelles. Une élève mesquine de nationalité espagnole prénommée Juanita, dont il est fait mention dans ces fameuses notes, n’apparaît finalement pas dans le livre tel que nous le connaissons. Tony SUMMERFIELD commente : « (…) on en vient à se demander si Enid BLYTON s’était référée à ces notes lors de la rédaction du livre ». En effet, tout porte à croire qu’elle les aura griffonnées le temps de quelques minutes, mais que, en écrivant l’histoire, elle aura négligé de les compulser. »


J’ai eu beau fournir des éléments de preuves quant au fait qu’Enid BLYTON tirerait des plans de ses livres, ce qui donne le démenti à ses dires selon lesquels elle n’ébaucherait pas ses romans avant d’entamer leur écriture, je n’en crois pas moins qu’il y a une part de vérité dans ses descriptions où, d’après elle, ses histoires jailliraient avec spontanéité. Nous tenons de ses éditeurs et de ses agents de distribution qu’elle travaillait à une vitesse extraordinaire, et qu’elle était capable d’achever d’écrire un roman entier en un laps de temps extrêmement court. Au pic de sa performance, c’était non moins de 10 000 mots publiables qu’elle produisait par jour, un rythme qui lui permettait de rédiger tout un Club des Cinq ou un Aventure dans un délai de cinq jours à peine. Nous disposons également de quelques-uns de ses tapuscrits qui montrent – chose remarquable ! – le nombre assez peu élevé de modifications ayant été apporté entre les premiers jets et les ouvrages sortis des presses.

Ces faits à eux seuls suffisent à dénoter la rapidité et l’aisance phénoménales dont elle faisait montre, ce qui ne lui laissait que fort peu de temps pour réaliser des travaux préparatoires ou effectuer des recherches. Toutefois, la plus belle preuve à ce propos, c’est dans les livres eux-mêmes qu’on peut la trouver.


Le vocabulaire blytonien est répétitif, les mêmes mots et expressions tels que, entre autres, « gloomily », « queer » ou encore « at top speed » revenant encore et encore. Enid BLYTON a rarement recours à des termes plus précis comme par exemple « grotesque », « disturbing » ou « bizarre » en lieu et place de « queer ». L’explication la plus plausible en serait qu’en règle générale, elle ne marquait pas de temps d’arrêt pour réfléchir au choix exact des mots et qu’elle se laissait entraîner par le tourbillon de son imagination. Ce faisant, ses doigts, qui pourtant pianotaient les touches du clavier à toute allure, peinaient à suivre la cadence de ses pensées.


Sur une note positive, c’est peut-être parce qu’elle ne passait quasiment pas de temps à préparer ses livres que ses écrits sont d’une fraîcheur et d’une spontanéité aussi plaisantes. Et voilà sans doute pourquoi on trouve la lecture de ses livres si agréable. Enid BLYTON avait l’art de peindre des mots imagés à la fois aptes et imaginatifs sans se livrer toutefois à des descriptions longuettes ni à des tournures de phrases compliquées, procédé qui aurait eu pour effet de ralentir la narration. Elle use de dialogues qui sonnent naturels, de comparaisons truculentes. Ses œuvres abondent en allitérations et en onomatopées, choses qui animent la prose tout en l’agrémentant d’inflexions mélodieuses de bonne facture. La simplicité de son style peut de fait être considérée comme étant un atout majeur. Si, parfois, on lui reproche de n’avoir su faire améliorer le vocabulaire de ses lecteurs, en revanche, elle n’a jamais manqué de faire élargir leur imaginaire ni de les faire réfléchir aux questions d’ordre moral. Des sujets difficiles comme la délinquance juvénile ou les ruptures conjugales sont abordés et traités dans The Six Bad Boys. La limpidité et la fluidité de l’écriture d’Enid BLYTON font que ces aspects plus profonds de son œuvre sont d’autant plus accessibles.

D’OÙ venaient À ENID BLYTON SES IDÉES ?

Enid BLYTON soutenait que les écluses de son imagination étaient prêtes à tout moment à s’ouvrir. Il suffisait pour cela d’y toucher. Les différents incidents survenus au cours de son existence et dont elle avait fait l’expérience lui fournissaient matière à écrire. Ces vécus :

« … s’enfoncèrent dans mon subconscient et y mijotèrent en attendant le moment où leur nécessité serait de nouveau ressentie à l’usage d’un livre – ils avaient subi entretemps des changements, des transmutations, avaient été délicatement ouvragés et rendus parfaits – à tel point qu’ils étaient devenus méconnaissables depuis le jour où ils furent emmagasinés.

Et pourtant, leur essence même resta intacte. Quelque chose d’indéfinissable avait été à l’ouvrage, qui avait adapté, altéré, supprimé ci ou çà, donné le poli final. Malgré tout, le cœur, le noyau de l’élément originel était bel et bien présent. Et cela, je pouvais presque toujours le reconnaître. »

Dans sa lettre rédigée à Peter MCKELLAR le 26 février 1953, elle s’étend sur le sujet en expliquant que les curiosités qu’elle avait visitées en vacances, telles que forteresses, îles ou cavernes, émergeaient régulièrement dans ses histoires à mesure qu’elle les écrivait :

« Elles font irruption dans mes histoires à intervalles réguliers, modifiées au point d’être quasi inidentifiables. Soudain, je repère un détail qui m’interpelle et qui me fait faire une remarque du genre : Tiens, voilà à n’en pas douter une des grottes de Cheddar. Les personnages, eux aussi, me rappellent les gens que j’ai rencontrés ; je pense que mon imagination contient l’ensemble des choses que j’ai vu ou entendu, choses que mon conscient a oubliées depuis belle lurette. Le tout constitue un sacré fouillis jusqu’à ce qu’un rayon lumineux pénètre dans le fatras, et qu’ici un événement ou là un objet soit extrait, transmuté ou transformé en quelque chose qui se met en place au bon moment dans le récit, que je reconnaisse ou non ce quelque chose. Je ne crois pas exploiter une quelconque chose que je n’ai pas vue ou expérimentée au préalable ; je ne pense pas que je le pourrai. Je ne crois pas que l’on puisse retirer de son esprit plus que ce que l’on n’y a mis. Nos livres sont des facettes de nous-mêmes. »

POURQUOI ENID BLYTON ÉCRIVIT-ELLE TANT DE LIVRES ?

Enid BLYTON s’intéressait de très près aux enfants de tout âge. Elle disait : « Je suis désireuse de te connaître dès le départ, j’ai envie de suivre avec toi le cheminement de ton enfance jusqu’à ce que tu sois suffisamment grand pour pouvoir lire des livres pour adultes. Je ne veux pas que tu sois ami avec moi pendant quelques années seulement. Je tiens à garder le contact avec toi tout au long de ton enfance. » C’est la raison pour laquelle elle écrivit des histoires qui s’adressaient à une tranche d’âge assez vaste, depuis les mini-livres de Oui-Oui destinés aux plus jeunes lecteurs jusqu’aux récits d’aventure et de mystère, d’une trempe plus sophistiquée. Avec autant de centres d’intérêt, Enid BLYTON aimait à relever le défi d’écrire sur des thèmes très divers. Elle devint célèbre grâce notamment à ses livres d’aventure et de mystère, mais aussi à Oui-Oui, ou encore aux histoires d’école, aux ouvrages sur la nature, aux récits bibliques, aux livres d’animaux, aux contes de fermes et de cirques, aux romans de famille, aux nouvelles oniriques, aux contes de fées, aux fables pour les tout-petits, aux poésies, chansonnettes, pièces de théâtre et articles, mais son succès, elle le devait également aux mythes, légendes, fables et autres contes folkloriques qu’elle réécrivait.

Les magazines dont Enid BLYTON était rédactrice – à commencer par les Sunny Stories suivis plus tard par le Enid Blyton’s Magazine – lui permettaient d’échanger avec ses lecteurs. Dans ses éditoriaux, elle évoquait sa vie personnelle et familiale, son jardin, ses animaux de compagnie, les endroits qu’elle avait visités. Les enfants avaient le sentiment de la connaître au même titre qu’une amie et ils lui expédiaient des lettres. Ils recevaient en retour des courriers détaillés écrits de sa main. Quelques-uns de ses correspondants restèrent en contact avec elle pendant de nombreuses années, voire même après avoir atteint l’âge adulte. C’est ce relationnel qu’elle sut entretenir avec son lectorat qui fit qu’elle savait quel genre d’histoires lui plairait. Parmi les nouvelles publiées dans ses journaux illustrés, certaines lui furent inspirées par les lettres qu’elle avait reçues de ses lecteurs et où ces derniers lui décrivaient les incidents intéressants ou amusants qui leur étaient arrivés.

Enid BLYTON noircissait du papier non seulement pour distraire les enfants, mais aussi les instruire, et leur servir de cicérone. Ses ouvrages comportent invariablement des morales solidement ancrées. Dans certain courrier à l’adresse du bibliothécaire Monsieur S. C. DEDMAN datant de septembre 1949, elle se confiait : « Mon but n’est pas uniquement de raconter des histoires. Même si c’est ce qui me plaît le plus, je me dois d’inculquer le sens du raisonnement, la fidélité, l’honnêteté, la bonté ; bref, tout ce qui doit être enseigné aux enfants. »

Dans The Story of My Life, Enid BLYTON exhorte ceci à ses lecteurs : « Même si tu ne m’as jamais rencontrée en vrai, tu me connais à fond pour avoir lu tant et tant de mes livres… Je suis sûre que tu as bien conscience de mes principes, des choses auxquelles j’adhère, sans l’ombre d’un doute. »

LESQUELS DES PERSONNAGES BLYTONIENS ÉTAIENT-ILS RÉELS ?

Bill SMUGS

Le personnage de Bill SMUGS de la série « Aventure » fut inspiré par un homme avec lequel Enid BLYTON et son époux Kenneth firent connaissance au hasard d’une rencontre qui eut lieu certaine année où le couple prenait des vacances à Swanage, dans le Dorset. Le bonhomme fit part à Enid Blyton de son désir de vivre des aventures, et il ajouta : « J’aurais tant voulu faire partie des services secrets, ou quelque chose d’approchant. Ne pourriez-vous pas éventuellement faire de moi un personnage que vous mettriez dans un roman en la personne d’un agent secret ? Dans ce cas, il me serait possible de partir à l’aventure pour de bon. Ne changez rien à mon aspect, ni à ma calvitie sur le sommet du crâne. Et appelez-moi – voyons voir – mais oui, j’y suis ! – appelez-moi Bill SMUGS, voulez-vous ? C’est le surnom dont je m’étais affublé étant enfant. »

Enid BLYTON nous livre ce commentaire dans The Story of My Life : « Eh bien, figurez-vous que lorsque j’écrivais le premier tome de la série “Aventure”, hop ! ce Bill SMUGS avait fait son apparition dans l’histoire. J’en fus la première surprise. Il avait paru, avec sa tête chauve et tout le saint-frusquin, et, de surcroît, il était dans les services secrets ! »

George KIRRIN (Claude DORSEL)

George (Claude dans la version française) des Famous Five fut basée sur une fille réelle. « La véritable George avait les cheveux coupés courts, le visage semé de taches de rousseur et le nez retroussé. Elle était courageuse, audacieuse, fidèle. Elle avait la tête près du bonnet, et la bouderie facile, tout comme la George des Famous Five, d’ailleurs. Mais plus maintenant. Nous finissons par passer l’âge de ces enfantillages, il faut bien ! Alors, George vous plaît ? À moi, oui.

À ce qu’on dit, Enid BLYTON aurait confessé à Rosica COLIN, agent littéraire, que le personnage de George était une personnalisation d’elle-même.

L’Inspecteur Jenks

L’inspecteur de police Stephen JENNINGS servit d’inspiration à Enid BLYTON pour créer le personnage de l’inspecteur JENKS qui figure dans la série mystère « LES CINQ DETECTIVES ». Quand Jennings fut promu inspecteur en chef puis surintendant, Enid BLYTON en fit autant pour l’inspecteur JENKS ! Elle écrivit que Stephen JENNINGS était « d’aussi forte carrure, aussi large d’épaules, bienveillant, perspicace et digne de confiance que l’était l’inspecteur JENKS de la série Mystère. »

Fatty

Fatty, ou Frederick, de la série “LES CINQ DETECTIVES” fut basé sur « un garçon grassouillet, ingénieux et jovial » connu d’Enid BLYTON avait connu à une certaine époque de sa vie.

Claudine

La Claudine, issue de la série “Deux Jumelles”, fut inspirée par une élève belge qu’Enid BLYTON avait connue durant ses années d’écolière. « Elle était polissonne en diable, très audacieuse, pas honnête pour deux sous, et elle avait le sport en horreur. Comme le disait notre professeur de division, elle était aussi maligne qu’un singe. Et pourtant, tout le monde avait beaucoup de sympathie pour elle. Cette fille faisait l’impossible pour payer de retour les affronts qu’on lui faisait, ou bien pour rendre la pareille à un geste de gentillesse qu’on avait eu à son égard.

Mam’zelle

Dodue à souhait, amusante, d’un naturel colérique, la Mam’zelle de la série des histoires d’école d’Enid BLYTON, nommée « SAINT-CLAIR », fut calquée sur l’une des professeures de français qui enseignait cette langue à Enid BLYTON. « Elle se livre aux mêmes excentricités que celles racontées dans les romans. Elle se mettait dans des rages folles, elle tempêtait et se lamentait en poussant les hauts cris devant notre stupidité. Les chauves-souris, les souris, les scarabées, les abeilles et les araignées lui inspiraient la terreur la plus vive. » Enid BLYTON et ses condisciples jouaient de mauvais tours à « Mam’zelle », qui tombait quasi toujours dans le panneau, au plus grand ravissement de leurs auteurs. Ses crises de colère même étaient théâtrales, mais pour compenser ses travers, elle avait un sacré sens de l’humour et ses élèves l’adoraient.

Amelia-Jane

Amelia-Jane était une poupée de chiffon qui avait appartenu à Gillian, la fille aînée d’Enid BLYTON. « Ce que nous choyions Amelia-Jane, avec ses couettes en tire-bouchon, ses grands membres désarticulés, sa bouille d’enfant friponne, c’était inouï. » Lorsque Gillian recevait ses amies à goûter, sa mère asseyait Amelia-Jane sur ses genoux et, s’emparant de la jambe de la poupée, elle lui faisait expédier, d’un coup de pied, des biscuits dans les airs. Ou alors, elle lui faisait donner des tapes sur le museau du chien, au plus grand amusement des enfants présents.

Kiki

Kiki l’ara des livres d’Aventure fut basé sur une perruche baptisée KIKI qui appartenait à une tante d’âge avancé d’Enid BLYTON. Cette dernière dit : « C’était un oiseau extraordinaire : intelligent, loquace et malicieux. »

Loony (Crac)

Loony, l’épagneul noir des Mystère “Barney” d’Enid BLYTON (connu en Angleterre sous l’appellation « The R Mysteries ») fut inspiré par son propre chien, nommé LADDIE. « Il fallait absolument que je mette LADDIE en scène dans un livre. Il est si beau, si fou, et quelquefois, il se montrait vraiment très stupide. »

Bimbo et Topsy

Les vedettes du livre intitulé “Bimbo and Topsy”, c’est-à-dire Bimbo le chat siamois et Topsy le fox-terrier, furent des animaux familiers ayant appartenu à Enid BLYTON.


* Adieu à Malory School en version française [NduT]



Texte original en anglais, ici : http://www.enidblytonsociety.co.uk/enid-the-writer.php




Traduit de l’anglais par Sreekrishnan SRINIVASAN, septembre 2017