Bennett

Bennett / Jennings

 

 

 Bennett


BENNETT EN ALLEMAGNE

Par Patrick Galois

 

 

   Anthony Buckeridge est apparu en Allemagne plus tôt qu’en France puisque le premier livre traduit dans ce pays « Jennings Little Hut » a été édité en 1960. Pour autant, les livres, qui ne sont plus édités depuis une vingtaine d’années, n’ont pas eu autant de succès qu’en France, réalisant des tirages de l’ordre de 10 à 20000 exemplaires chacun. Ceci explique sans doute que seuls dix titres sur vingt-quatre ont été traduits en allemand, entre 1960 et 1974. Curieusement, sur ces 10 titres manquent plusieurs titres phares de la série, notamment les tous premiers (« Jennings Goes to School », « Jennings Follows a Clue », « Jennings and Darbishire »). Florian Faust, un des rares aficionados allemands, s’interroge sur ces choix et trouve parfois une explication. Ainsi, si « Thanks to Jennings » - « Un ban pour Bennett » n’a pas été germanisé selon lui, c’est parce que la scène où un inspecteur de l’Education Nationale est successivement pris pour un inspecteur des gaz, des bus ou de la police ne pouvait être traduit en allemand, étant donné que chacun de ces corps de métier est affublé d’un nom différent dans la langue de Goethe.

 Si la traduction assez littérale suit en général fidèlement le texte originel, il est tout de même deux aspects importants où la traductrice, Elisabeth von Schmädel, a pris l’option d’adapter le texte aux usages allemands pour le rendre plus familier au lecteur : d’une part, les élèves ne sont plus appelés par leur nom mais par leur prénom (« Fredy » pour « Jennings-Bennett ») ; d’autre part, les professeurs tutoient les élèves. Ce choix est vraisemblablement –on ne peut en être sûr vu l’ambiguïté du « you » anglais- une trahison du climat qui devait régner dans une école privée anglaise il y a 50 ans (même si Linbury ne semble pas être des plus sévères). En effet, si les traducteurs français avaient suivi la même voie, on pourrait entendre Wilkinson apostropher de la sorte Bennett :

 -Tu n’est qu’un affreux petit forban, John !

Cela sonnerait bizarre à nos oreilles. Par ailleurs, une autre germanisation –que Florian interprète curieusement comme une mise au goût du jour- a été faite dans le dernier volume traduit en allemand (« Speaking of Jennings ») : la monnaie anglaise a tout simplement été remplacée par le « Deutsche Mark ».

 La traductrice allemande a été confrontée, comme les autres, à la difficulté de trouver des équivalents pour les expressions « made in Buckeridge » comme « Fossilised fish-hooks » ou « Petrified paint-pots ». De même que le faisait Olivier Séchan le plus souvent, elle a choisi des expressions courantes et beaucoup moins imagées. Ainsi, « clodpoll » devient « Dummkopf » (crétin) quand Séchan le traduit par ballot. Dans les deux cas, on perd de la noblesse du terme shakespearien utilisé par Buckeridge. «He plays like a flat-footed newt » (mot à mot : « il joue comme un triton aux pieds plats ») devient dans la version allemande « Darbis Kricketkünste sind miserabler als miserabel », soit « les capacités de Mortimer au cricket sont plus misérables que misérables ».

 Une autre curiosité dans la traduction de « Jennings Abounding » : Mortimer essaie d’expliquer à Henry Dufour, nouveau collégien français à Linbury (voir la fin de « Especially Jennings » - « Bennett fonde un club ») les règles du cricket. Il demande l’équivalent français de « bat » à Wilkinson. Celui-ci, distrait, pense à un autre sens de « bat » et répond « chauve-souris ». Mortimer se retourne alors vers Henry et lui explique ainsi en français les règles du cricket : « Si vous n’êtes pas dehors, vous portez votre chauve-souris », plongeant le pauvre français dans la plus grande des confusions. Comment Elisabeth a-t-elle transposé en allemand ce jeu de mots explicité en français dans la version anglaise ? L’équivalent allemand de « batte de cricket » est « Schläger ». Ce terme possède également d’autres significations, dont l’une est querelleur, bagarreur. Aussi quand Mortimer-Darbi pose la question à Wilkinson, celui-ci répond-il « bretteur ». Et Mortimer d’expliquer alors à Henry (en français dans le texte) : « Si vous n’êtes pas dehors, vous gardez votre bretteur ». On imagine la perplexité du lecteur allemand devant cette phrase. Même un français à l’âge de lire les aventures de Bennett se serait posé des questions sur la signification de « bretteur ». Elisabeth von Schmädel était sans doute moins francophone qu’anglophone pour avoir choisi ce terme de préférence à un autre plus usuel comme « querelleur ». Signalons pour finir que ce passage ne figure pas dans la version française, « Bennett et le pigeon voyageur », pour la bonne raison que Henry Dufour n’avait alors aucune raison d’être, le volume où il apparaît (« Bennett fonde un club » - « Jennings Abounding ») ayant été traduit seulement un an plus tard.

 

Patrick Galois

 

 

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