"des maisons qui dégringolent
depuis le haut de la colline... ça s'étage en escaliers au-dessus d'un gros château
rebâti sous Louis XV et déjà plus délabré que la Tour Sarrasine, basse
toute gainée de lierre et qui s'effrite par en haut un petit peu chaque
jour."
La maison était
grande, coiffée d’un grenier haut. La pente raide de la rue obligeait les
écuries et les remises, les poulaillers, la buanderie, la laiterie, à se
blottir en contre-bas tout autour d’une cour fermée.
La maison de
Claudine - Où sont les enfants.
Photo : Joëlle
Le jardin de la
maison de Colette, coté rue des Vignes :
"...je n'ai jamais connu cette
grille que tordue, arrachée au ciment de son mur, emportée et brandie en l'air
par les bras invincibles d'une glycine centenaire."
La maison de
Claudine - Où sont les enfants.
Photo : Joëlle
Photo : Joëlle
La glycine a
envahi les arbres alentours.
Photos : P. Ayrault
Photo : Joëlle
Le bâtiment qui
abrite la mairie et l'école dont Colette décrit longuement l'inauguration
dans Claudine à l'école.
La Tour sarrasine.
« … c’est des maisons qui dégringolent, depuis le haut de la colline
jusqu’en bas de la vallée ; ça s’étage en escalier au-dessous d’un gros
château, rebâti sous Louis XV et déjà plus délabré que la tour
sarrasine, basse, toute gainée de lierre, qui s’effrite par en haut un
petit peu chaque jour. »
Claudine à l'école
Photo : Joëlle
Le château,
actuel Musée Colette, et la Tour sarrasine.
Photo : Joëlle
Le mur du jardin
d'en face. La maison que l'on voit est celle où a vécu Juliette, la
demi-soeur aînée de Colette.
Nattée à
l’alsacienne, deux petits rubans voletant au bout de mes deux tresses, la
raie au milieu de la tête, bien enlaidie avec mes tempes découvertes et mes
oreilles trop loin du nez, je montais parfois chez ma sœur aux longs cheveux.
À midi, elle lisait déjà, le grand déjeuner finissant à onze heures. Le
matin, couchée, elle lisait encore. Elle détournait à peine, au bruit de la
porte, ses yeux noirs mongols, distraits, voilés de roman tendre ou de
sanglante aventure.
La maison de
Claudine - Ma sœur aux longs cheveux.
Photo : Joëlle
Le lavoir du
petit Saint-Jean où Colette allait chercher de l'eau.
Photo : Joëlle
L'étang des
Barres près de Saint-Sauveur. Dans Claudine à Paris, Colette évoque une
cuvette profonde comme cet étang.
L'église de Saint-Sauveur-en-Puysaie
Elle a la particularité de ne
plus avoir de clocher : il a été détruit à plusieurs reprise par la foudre
et, lassés, les Sansalvatoriens ont décidé de ne plus le reconstruire.
— Mon chien! Mettre mon chien à la porte de l'église! Qu'est-ce que vous craignez donc qu'il y apprenne?
— Il n'est pas question de…
— Un chien qui est un modèle de tenue! Un chien qui se
lève et s'assied en même temps que tous vos
fidèles!
— Ma chère madame, tout cela est vrai. N'empêche que
dimanche dernier il a grondé pendant l'élévation!
— Mais certainement, il a grondé pendant
l'élévation! Je voudrais bien voir qu'il n'ait pas
grondé pendant l'élévation! Un chien que j'ai
dressé moi-même pour la garde et qui doit aboyer
dès qu'il entend une sonnette! La grande affaire du chien
à l'église, coupée de trêves,
traversée de crises aiguës, dura longtemps, mais la
victoire revint à ma mère. Flanquée de son chien,
d'ailleurs très sage, elle s'enfermait à onze heures dans
le «banc» familial, juste au- dessous de la chaire, avec la
gravité un peu forcée et puérile qu'elle
revêtait comme une parure dominicale. L'eau bénite, le
signe de croix, elle n'oubliait rien, pas même les
génuflexions rituelles…
— Qu'en savez-vous, monsieur le curé, si je prie ou non? Je ne
sais pas le Pater, c'est vrai. Ce n'est pas long à apprendre? Ni
à oublier, j'aurais bientôt fait… Mais j'ai à la
messe, quand vous nous obligez à nous mettre à genoux,
deux ou trois moments bien tranquilles, pour songer à mes
affaires… Je me dis que la petite n'a pas bonne mine, que je lui ferai
monter une bouteille de Château Larose pour qu'elle ne prenne pas
les pâles couleurs… Que chez les malheureux Pluvier un enfant va
encore venir au monde sans langes, ni brassières, si je ne m'en
mêle pas… Que demain c'est la lessive à la maison et que
je dois me lever à quatre heures… Il l'arrêtait en
étendant sa main tannée de jardinier:
— Ça me suffit bien, ça me suffit bien… Je vous compte le tout pour une oraison.
La maison de Claudine
Photo : Joëlle
Le bas de la rue Colette, au fond
on voit l'église.
Photo : Joëlle
Le dimanche, elle manquait
rarement la messe. L’hiver, elle y menait sa chaufferette, l’été son
ombrelle ; en toutes saisons un gros paroissien noir et son chien Domino,
qui fut tour à tour un bâtard de loulou et de fox, noir et blanc, puis un
barbet jaune.
Le vieux curé Millot, quasi subjugué par la voix, la bonté impérieuse, la
scandaleuse sincérité de ma mère, lui remonta pourtant que la messe ne se
disait pas pour les chiens.
Elle jetait sur ses épaules sa
« visite » en cachemire noir brodée de jais, coiffait sa petite
capote à grappes de lilas foncés, et s’en allait, de ce pas en effet, ce
pas inimitable et dansant — la pointe du pied en dehors, le talon effleurant
à peine la terre — sonner à la porte de M. le curé Millot, à cent mètres
de là. J’entendais, de chez nous, la sonnette triste et cristalline, et
j’imaginais, troublée, un entretien dramatique, des menaces, des
invectives, entre ma mère et le curé-doyen… Au claquement de la porte
d’entrée, mon cœur romanesque d’enfant répondait par un bond pénible.
La maison de Claudine - Ma mère
et le curé.
La porte
cochère - La "loge" de Colette
Photo P. Ayrault. |
C'est d'abord dans cette
petite chambre, suspendue au dessus de la porte cochère, que Colette passa
une partie de son enfance.
...Quittant ma tanière
enfantine - une ancienne logette de portier à grosses poutres, carrelée,
suspendue au dessus de l'entrée cochère et commandée par la chambre à
coucher de ma mère - je dormais depuis un mois dans le lit que je n'avais
jamais osé convoiter, ce lit dont les rosaces de fonte argentée retenaient
dans leur chute des rideaux de guipure blanche, doublés d'un bleu
impitoyable.
Colette La maison
de Claudine - L'enlèvement.
|
Retour de Paris.
...Ces cubes sans jardins, ces logis sans fleurs où nul chat ne miaule derrière la
porte de la salle à manger, où l'on n'écrase pas, devant la cheminée, un coin du chien
traînant comme un tapis, ces appartements privés d'esprits familiers, où la main, en
quête de cordiale caresse, se heurte au marbre, au bois, au velours inanimés, je les
quittai avec des sens affamés, le besoin véhément de toucher, vivantes, des toisons ou
des feuilles, des plumes tièdes, l'émouvante humidité des fleurs... Comme si je les
découvrais ensemble, je saluai, inséparables, ma mère, le jardin et la ronde des
bêtes. L'heure de mon retour était justement celle de l'arrosage, et je chéris encore
cette sixième heure du soir, l'arrosoir vert qui mouillait la robe de satinette bleue, la
vigoureuse odeur de l'humus, la lumière déclinante qui s'attachait, rose, à la page
blanche d'un livre oublié, aux blanches corolles du tabac blanc, aux taches blanches de
la chatte dans une corbeille.
Colette
Ma bourgogne pauvre.
Point de pampres au-dessus de mon berceau, si ce ne fut quelque
treille bordant un mur, des tonnelles bien épaisses sous lesquelles la grappe trop
ombragée s'étire, maigrit, et ne mûrit que si l'arrière-saison se fait brûlante. Les
jours d'automne torrides ne sont pas rares en Auxerrois. Le terroir s'y réclame de la
vraie Bourgogne et jusqu'à notre Puisaye étend le rude rayon, la sonore gelée qui sur
la Côte-d'Or apprêtent les grands vins. Veuf de ceps, mon pays natal buvait du vin. Le
petit bourgogne anonyme y coulait en chopines, en setiers et demi-setiers, en verrinées.
Il signait sa présence et sa vogue, sur les tables de bois grattées au tesson de verre,
en cercles violâtres indélébiles. Les soirs d'hiver, le vin jeune - six sous le litre -
bouillait à pleins pots, et dans son écume rose dansaient la rouelle de citron et
l'épave de cannelle, pêle-mêle avec les dix grains de poivre et les radeaux des rôties
naufragées.
Colette
- En pays connu.
Les bois.
Chers
bois ! Je les connais tous ; je les ai battus si souvent. Il y a
les bois-taillis, des arbustes qui vous agrippent méchamment la figure au passage,
ceux-là sont pleins de soleil, de fraises, de muguet, et aussi de serpents. J'y ai
tressailli de frayeurs suffocantes à voir glisser devant mes pieds ces atroces petits
corps lisses et froids ; vingt fois je me suis arrêtée, haletante, en trouvant sous ma
main, près de "la passe-rose", une couleuvre bien sage, roulée en colimaçon
régulièrement, sa tête en dessus, ses petits yeux dorés me regardan ; ce n'était pas
dangereux, mais quelles terreurs ! Tant pis, je finis toujours par y retourner seule ou
avec des camarades ; plutôt seule, parce que ces petites grandes filles m'agacent, ça a
peur de se déchirer aux ronces, ça a peur des petites bêtes, des chenilles velues et
des araignées des bruyères, si jolies, rondes et roses comme des perles, ça crie, c'est
fatigué, insupportables enfin.
Colette
- Claudine à
l'école.