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BENNETT
D' ANTHONY BUCKERIDGE

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Interview d’Anthony Buckeridge

 

Mat Coward

 

Anthony Buckeridge n’est autre que le créateur de Bennett, le collégien anglais (à la mauvaise tête, mais au bon coeur !), pour ne pas dire son professeur.
Tout ce que vous avez voulu savoir sur lui, vous le trouverez dans l’interview qui suit, parue dans le magazine britannique Million ...

 

Place à l'interview

 

« Hé ! Ecoutez un peu ça ! Dernière nouvelle ! Dernière heure ! Le pauvre Ben est fait comme un rat ! Il est coincé avec un hérisson dans les bras, et il ne peut pas remonter l'escalier sans tomber sur Wilkie et le Grand Chef Sioux ! »

  « J’ai passé la majeure partie de mon enfance (pour écourter une longue histoire) dans une école préparatoire privée, réservée aux classes aisées, où j’ai fait mes études. Parfois, ça m’arrivait de me sentir perdu. D'autres fois, j’étais plutôt dépaysé parmi tant de camarades qui étaient pour la plupart venus de familles riches. Malgré tout, je me suis arrangé pour m’y acclimater. Je me plaisais particulièrement en compagnie de mon compagnon John Christopher Timothy Bennett - personnage fictif - mais tant pis pour cela. »

  Le personnage de « Bennett » est sorti en public pour la première fois en 1948, quand la BBC diffusait une émission radiophonique appelée « Children's Hour ». Il s’agissait d’une pièce de théâtre mise en scène par un professeur et écrivain à mi-temps : Anthony Buckeridge.

  « C’était une seule et unique pièce, mais qui aurait cru qu’on m’en exigerait six, puis en redemanderait encore six, l’année suivante ? Ma foi, ce n'était pas pour me déplaire ! Les titres qui suivaient ne faisaient que confirmer quant à eux le succès des précédents. Au bout de deux ans, disons vers le début des années 50, je jugeais utile de me servir du même matériel pour réécrire le tout, cette fois, sous forme de livres. Je pensais que ma première pièce serait unique, mais elle ne l’était pas. J’espérais que, pendant ce temps, mon premier récit ne serait pas l‘unique livre à paraître, et il ne l’était pas ni lui non plus. Mais j'avoue que j'étais assez désordonné au moment où je me mettais à écrire ces histoires. Et j'étais encore loin de me douter que mes livres feront de moi le Buckeridge que je suis aujourd'hui. Mais, croyez-le si vous voulez, il n'en était rien au départ, vrai de vrai ! »

  Qu'est-ce qui explique alors cet énorme succès ?

  « À l'époque, grâce aux semaines spéciales pour la jeunesse (la Children's Hour Request Week), les émissions de radio destinées au jeune public anglais amusaient beaucoup les enfants. Le week-end venu, ils avaient la possibilité de voter pour celle qu'ils préféraient. Les programmes radiodiffusés dont Bennett figurait héros étaient très appréciés du public juvénile… si j’en juge d'après le nombre d'enfants qui ont voté pour lui semaine après semaine ; et ce pendant une période de 832 semaines d'affilée !

  Alors, j'étais vraiment tout excité et je me disais : « Tiens, en tout cas, il a fait son entrée dans la génération des jeunes d'aujourd'hui, reste à voir s'il va continuer à remporter le même succès. »

  Bennett est né quand je suivais ma vocation : l'enseignement. Je racontais à mes élèves des aventures d'écoliers (que j’inventais au fur et à mesure) chaque nuit avant l'heure du coucher, pour leur faire manger leur dîner : finissez vite, leur disais-je, d'avaler vos prunes à la crème anglaise en moins d'une minute que je vous raconte une histoire. Il devait forcément y avoir un héros. Ainsi est né le personnage de Bennett. Voilà comment tout a commencé. J'étais en pension avec un élève nommé Bennett qui, je le pense, ne pouvait s'empêcher de déchaîner les catastrophes les plus désopilantes dans mes livres, simplement parce que c'était un garçon à part. Et je n'avais qu'à utiliser son nom qui semblait lui aller à merveille.

  La vie de Bennett au collège de Linbury ressemblait, outre l'absence des filles, par bien des aspects à celle que j'ai connue dans mon école élémentaire à moi. Les escapades étaient joliment contées, et leurs conséquences moins désastreuses.

  Je ne crois pas que Linbury soit un collège de renommée, opine Buckeridge. Mais je pense que c'est surtout ce genre de collège qui, à force d'y enseigner, m'est familier. Les garçons venant de la classe moyenne anglaise y sont mis purement et simplement pour le fait de les envoyer en pension : « C’est bon pour arrondir les angles de leur caractère… » dit-on. Mais cette sorte d'explication ne me convainc point du tout.

  Je suis père de trois enfants : ma fille vient de fêter ses cinquante ans, mon fils aîné avoisine la cinquantaine. Quant à mon deuxième fils, que j'ai eu de ma seconde femme, il approche de vingt-sept ans. Ma fille a suivi des études d'Etat ; mon fils aîné fréquentait l'école préparatoire où j'enseignais dans le temps, et ensuite, une école secondaire ; mon fils cadet, lui, a obtenu une bourse pour étudier la musique dans le prestigieux conservatoire de Lancing.

Or, si l'on dit que l'enfant a besoin d'aller au-delà du système d'Etat, mon opinion est que oui ; mais normalement, non ! Je ne suis pas du genre "pensionnaire". Mon père a été tué pendant que la première guerre mondiale battait son plein. À ce moment, je n'avais pas encore soufflé mes huit bougies. Papa travaillait comme employé de banque, et l'orphelinat de la banque nous envoyait, les victimes de la guerre, à une certaine école. Si papa n'avait pas été tué à la guerre, je crois que j'aurais fait mes études dans un lycée public.

  Il faut tout de même reconnaître que la vie de pension, ça me plaisait assez, malgré quelques petits désagréments : pas de cours de musique ou de théâtre, ni de dessin non plus. Quelle guigne d'avoir manqué les distractions de la vie d'écolier ! Mais, en ce temps-là, je n'y pouvais rien ; aussi, bon gré mal gré, ai-je dû m’y habituer. Je me disais : "c'est ainsi qu'est mon école et c'est ainsi que je l'aime." Enfin, j’ai trouvé ma vie de pensionnaire beaucoup plus agréable que je ne m’y attendais. En ce qui concerne mon boulot de pédagogue, c'était sympa comme travail. »

  J'ai d'abord lu la plupart des histoires de Bennett en cachette pour échapper aux séances d'entraînement de cricket ou aux parties de football obligatoire, perché dans un arbre ou dissimulé dans un champ derrière une meule de foin. Ces derniers temps, il m'arrive de les lire au lit, mais elles me font toujours rire à gorge déployée, et je finis par réveiller mes voisins en sursaut ! Ceci dit, j'ai l'impression que le nombre de lecteurs à apprécier la série en se tenant les côtes est en chute libre. Buckeridge, qui est en train de relire ses livres à ses éditeurs, fait un signe d'assentiment.

  « Il est vrai que le style a considérablement changé. Les titres sortis les premiers figuraient en tête des hit-parades, car parfois les farces peuvent être très amusantes. Je pense que le style se trouve modifié, maintenant que certains des éléments cocasses ont été pour la plupart supprimés. »

  En tant qu'adulte, certains traits de caractère de Bennett m'amusent beaucoup et que je n'aurais su goûter, enfant. À ce titre, il est possible que le sarcasme très subtil de M. Carter passe inaperçu aux élèves de ce professeur populaire :

« Pourquoi vous dépêchez-vous donc dans la direction opposée, en criant à tue-tête, comme si une meute de chiens s'élançait à vos trousses ? Avez-vous perdu votre chemin ou bien avez-vous été déroutés par un coup de vent contraire puissant ? »

  Mais en même temps, le fou rire s'empare de moi à chaque fois que je me trouve devant ce genre d'humour que Buckeridge réussit à conter mieux que tout autre écrivain.

  Ce sont les quiproquo amusants, les incroyables méprises et les effroyables malentendus qui laissent aux lecteurs un souvenir ineffaçable. Par exemple, quand un naturaliste rend visite à Linbury afin d'examiner un animal en état d'hibernation, on prend l'expert pour un médecin. L'infirmière, justement, en a fait venir un pour soigner un pensionnaire souffrant des amygdales. Quelle n'est pas la surprise du spécialiste en apprenant de la bouche d'un élève que le malade est assis dans son lit, en train d'écrire à sa mère ! Mais ce qui rend la scène cocasse au lecteur adulte, c'est la réponse du jeune Bromwich à la remarque que fait l'expert au sujet du hérisson commun : "Je ne doute pas qu'il renifle, grogne en mettant le nez dans sa nourriture." Le lecteur grande personne rit de la réponse de l'élève qui évidemment veut parler de l'un de ses camarades de classe : "« Oui, c'est bien ça ! » reconnut Bromwich qui avait toujours sévèrement critiqué la tenue de Morrison à table et sa façon de manger. Il y a des fois, au réfectoire, où il mange véritablement comme un cochon."

  Buckeridge convient qu'il s'inspire de l'influence de Wodehouse (écrivain pour adultes britannique) pour conter des scènes qui sont à la fois une sousestimation et une plaisanterie (vieille et connue).

  Buckeridge ne se soucie pas de se servir d'absurdité, mais l'humour se situe autour d'observations exactes ; les plaisanteries sont assez crédibles, ce qui les rend beaucoup plus burlesques. A titre d'exemple, une tentative de préparer une tasse de thé à l'intention de Wilkie s'achève en une boisson au goût de citronnade, de paraffine et de mouchoir brûlé.

  Mais, ainsi que le fait remarquer un garçon : « Il s'agit d'aboutir à une bonne tasse de thé, une fois celle-ci préparée, vu les ennuis que nous risquons de nous attirer, en conséquence. »

  Dans le livre « Bennett et la roue folle », sans doute l'un des titres les plus comiques jamais parus dans la série, Morty fait la découverte d'une dent de bestiodocus qui est un animal préhistorique. Celle-ci est « parfaitement fossilisée, un petit peu ossifiée et même un peu pétrifiée ». L'archéologue en herbe avoue que le spécimen n'appartient pas à un véritable monstre antédiluvien, comme l'espèce en question n'avait vraiment existé que dans son imagination, mais se réjouit toutefois à l'idée que « d'autre part, rien ne nous prouve qu'il n'aurait pas appartenu à un faux hippogriffe ! ».

  Le personnage préféré de l'auteur, c'est le compagnon inséparable de Bennett. Il s'agit sans nul doute de... Mortimer.

  « À mon avis, il est on ne peut plus idiot. C'est son manque de 'qualités masculines', son côté efféminé, qui me plaise en lui. Et le sympathiquement incompétent Mortimer (fidèle lieutenant qui suit Bennett à contre-cœur dans ses entreprises : « j'ai bonne envie de porter plainte, si seulement j'arrivais à trouver quelqu'un qui m'écoute » fait-il à tout propos !) explique la raison pour laquelle l'auditoire de Bennett ne s'est jamais confiné à un lectorat d'école de garçons... ou même au clan des garçons.

  Oh ! que oui ! Mes ouvrages réussissent aux filles, poursuit Buckeridge. Elles aiment lire les livres pour garçons bien que ceux-ci ne lisent pas les livres pour filles.

Or, ces romans ne s'adressent pas uniquement aux garçons ou aux filles. Ils sont destinés, non pas à un groupe de lecteurs défini, mais aux lecteurs grand public.

  En effet, la plupart des lettres que m'envoient quantité de fans ces derniers temps proviennent dans leur majorité de ceux qui ont à peu près le même âge que Bennett : c'est-à-dire, chronologiquement, aux alentours de cinquante ans... et qui se souviennent de Bennett pendant de nombreuses années à présent.

  Je reçois des lettres de la part des professeurs qui ont apprécié les romans de Bennett, parfois c'est un vieux libraire qui me poste un petit mot au sujet de l'astucieux Ben. D'autres libraires critiquent mes oeuvres comme étant sexistes ou élitistes ou je ne sais quoi encore. On ne peut pas plaire à tout le monde ! Mais en tous cas, les expéditeurs de ces lettres ne disent que des choses gentilles sur le compte de Bennett ; je n'ai encore jamais reçu jusqu'ici de lettre de haine le concernant. Mais peut-être est-ce parce que les gens ne vous contactent pas quand ils n’ont pas aimé votre livre ! J'ai le sentiment qu'ils éprouvent de la sympathie pour Bennett, car dans le cas contraire, ils ne se donneraient jamais la peine de m'écrire quoi que ce soit.

  Enfant, je ne crois pas que j'avais vraiment envie de devenir un écrivain. Mais, chose curieuse, ce désir figurait en deuxième place sur ma liste de futurs métiers ! Lors de mon adolescence, j'ai changé d'avis et je voulais travailler comme cinéaste.

  Et, en fait de carrière de cinéaste, je suis parvenu en quelque sorte à réaliser ce rêve d'ado - enfin, je veux dire que je m'exerçais dans une répétition hebdomadaire, j'ai tenu plusieurs rôles dans pas mal de pièces de théâtre. Et maintenant, j'aime jouer dans les représentations théâtrales locales dans le Glyndebourne. Mais je me hâte d'ajouter que le chant, ce n'est pas mon truc !

  A présent que j'ai atteint l'âge mûr de quatre-vingt ans, je pense que j'ai bien fait de ne pas devenir cinéaste, car je crois avoir fait un bon choix. »

  Je suis avant tout humoriste, souligne Anthony. Je n'écris pas les histoires d'école en tant que telles, j'écris plutôt des histoires humoristiques se déroulant dans un cadre qui m'est connu. Il me semble que tout écrivain doit impérativement savoir ce qu'il écrit. Sinon, c'est l'échec garanti et un tel auteur ne tardera pas à s'attirer de graves ennuis. Quand je me suis mis à écrire, je ne destinais pas mes ouvrages aux enfants. J'ai écrit pour la radio des histoires pour les adultes. Mais je préférais écrire des histoires humoristiques. »

  Dans les années 50, Buckeridge dépeint l'univers non loin de celui de Bennett. Cette fois, il s'agit d'une petite série d'histoires se déroulant dans un lycée dont Rex Milligan est le héros.

  « A peine Rex Milligan est-il né qu'il s'est volatilisé comme par enchantement, nous raconte l'auteur d'un air malheureux. Pour ma part, j'ai adoré Milligan ; aussi ai-je peine à comprendre pourquoi cette série n'a guère été plébiscitée, car, à mon avis, l’humour et la drôlerie qui s’en dégagent sont comparables à ceux que j’ai développés dans les Bennett. Je m’étonne aussi que Rex Milligan n’ait pas marché à l'étranger, où, j'en suis persuadé, ces livres auraient plu aux lecteurs non-anglophones. »

  Pendant ce temps, Bennett est apparu à la télévision, au théâtre et même dans les concerts. Les livres qui mettent en scène les escapades du jeune Bennett et de son compagnon se sont vendus à plusieurs millions d'exemplaires, en treize langues, attestant de la popularité de Bennett bien au-delà des frontières britanniques ; le collégien prend un nom différent dans chacun des pays où l'on a traduit ses romans. Ainsi, en Norvège, Bennett (dont le vrai nom est en réalité Jennings), ou Stompa, a été même adapté au cinéma.

  Voici le moment de poser cette question que nous avons sur les lèvres :

  « Comment se dit « clodpoll » en norvégien ?

  -- Je doute qu'il existe une traduction de ce mot en langue étrangère ! Les traducteurs me font toujours parvenir leurs traductions, lesquelles peuvent parfois se révéler fort drôles. Ceci est surtout le cas de la traduction que font les dessinateurs des ouvrages étrangers. Ainsi, en France, leur portrait d'un terrain de cricket finit par ressembler assez à un stade de lévriers ! »

  Il n'est pas non seulement les illustrateurs étrangers qui mystifient l'auteur, mais également leurs homologues anglais dont les dessins laissent beaucoup à désirer.

  « La majorité des écrivains "pour les enfants" entretiennent une relation 'amour-haine' avec les illustrateurs. Certains d'entre eux se tirent d'affaire, mais d'autres, me semble-t-il, ne lisent même pas le texte qu'ils illustrent ! Enfin, je veux dire qu'ils se trouvent devant l'histoire, ils n'ignorent pas ce que raconte le texte, mais le résultat n'est guère à la hauteur de mes espérances, si j'en juge d'après les illustrations auxquelles ils aboutissent !

Ainsi, lorsque le récit a pour cadre une scène hivernale, les pensionnaires sortent habillés de vêtements d’été ; ou pire encore, si je décris l'action se passant dans un milieu citadin, on finit par me dessiner un arrière-plan champêtre. Et quand je le leur fais remarquer : « Oh ! désolé, mon vieux, mais alors là, c'est un peu trop tard... »

  Voilà qui explique sans doute l'illustration sur la couverture du titre « The Jennings Report » (Bennett se met en boule) où le dessinateur a illustré un Darbishire (Mortimer) à l'air d'un adulte qui boitille !

  Aujourd'hui, Bennett est de retour... sur les ondes (interprété par Stephen Fry, un « M. Wilkinson de nature », selon Buckeridge) et enfin, de retour en forme de livre cartonné (Jennings Again).

  « Vers la fin des années 70, je suppose que l’éditeur Collins avait l'impression que le dernier jour de ce titre était venu, aussi crurent-ils bon de le rayer de leur liste.

  Les lecteurs, comme s'ils n'étaient point rassasiés après la consommation de tous ces titres, ne cessent de m'écrire en me demandant de continuer. Mais ma réponse demeurait la même :

  « A quoi cela sert-il puisque personne n'a plus envie de les publier ? »

  « Je me suis dit que j'avais fini d'écrire le dernier roman sur Bennett, mais je suis heureux d’apprendre que je me suis trompé ! Eh oui, Macmillan s'est enfin décidé à me donner feu vert pour procéder à écrire une nouvelle histoire. Et maintenant que j'ai écrit un titre après si longtemps, je me ferai un plaisir d'en écrire un autre, mais tout dépend de la manière dont se vendra mon dernier titre qui vient tout juste de sortir. »

  Si anciens lecteurs et fans confirmés de Linbury ou de Dunhambury sont déconvenus avec le passage au système monétaire décimal, ils le sont encore parce que le texte des livres de Bennett a pour l'essentiel été actualisé. Et le résultat n'est pas des plus heureux.

Buckeridge choisit l'ordre de parution des rééditions chez Macmillan :

  « Je ne le fais pas par ordre chronologique, je confonds les plus anciennes avec les plus récentes. Cependant, le caractère du personnage de Bennett n'a pas changé avec le temps. Par contre, ses passions et ses intérêts, eux, changent de titre en titre. »

  Cette manière de faire durer un trimestre scolaire pendant des années est typiquement « buckeridgien » : cela ne fait que confirmer à quel point l'auteur s'identifie auprès des enfants pré-adolescents. Pour une grande personne, un mois peut filer rapide comme l'éclair, mais pour les petits, le temps passe plus lentement.

  « Et Bennett ne peut avoir que onze ans, pas plus ni moins. A cet âge, on est plutôt sage... et indépendant. Mais, le jour de leurs treize ans, si mes souvenirs sont exacts, les préoccupations des garçons changent radicalement : ils délaissent vaisseaux spatiaux et cabanes aériennes ; leur attention se trouve vite tournée vers le sexe... et vers tout ce qui va avec. C'est aussi le moment où les jeunes adolescents entament leur premières tentatives de fumer une cigarette ou de prendre un verre de boisson alcoolisée. »

  Aussi Buckeridge fait-il bien de dépeindre un Bennett encore à une tranche d'âge saine en nous proposant un récit en dehors du langage grossier adolescent.

  Grâce à sa femme qui est toujours professeur, Buckeridge garde le contact avec les préoccupations des enfants...

  « Il suffit largement de voyager dans un school bus à impériale et sous-entendre la conversation animée des enfants d'en bas pour qu'on ait quantité de matériel dont se servir pour écrire une nouvelle histoire. Ceux-ci ne se rendent même pas compte à quel point ils sont drôles, au contraire, ils se croient bien sérieux. Cependant, c'est pour une grande personne l'occasion rêvée de bien s'amuser !

  Inversement, tout ce que les grandes personnes disent ou font semble absurde au point de vue des gamins de onze ans ! Il en va de même pour le professeur Wilkinson (le vieux Wilkie de Linbury !) : un très gentil bonhomme, en vérité, il ne parvient pourtant guère à comprendre les élèves qu'il trouve stupides. Et comme il n'arrive pas à comprendre le fonctionnement de leur esprit juvénile, il pique une crise de colère et en voit de toutes les couleurs. »

  Mis au goût du jour, comme toujours, le livre le plus récent de Bennett porte sur les problèmes environnementaux actuels auxquels fait face notre société.

  Cela signifie-t-il que l'humour aimable de Buckeridge dissimule un agenda intérieur caché ?

  « Je me refuse à faire rire mes lecteurs tout le temps, bien que cela ait une importance capitale. Mais maintenant, je dois dire que je ne suis pas à court d'idées, et je veux vite en user. Je ne désire tout de même pas en abuser l'usage, et c'est précisément ce que j'essaye de faire comprendre à mon lectorat. Je tiens beaucoup à l'écologie : à mon avis, elle est très importante. C'est pour cela que j'ai abordé une question délicate que j'ai dû manier avec la plus haute adresse, et surtout, avec humour. Traiter un tel sujet de manière humoristique n'est pas chose facile, mais si l'on y parvient tout de même, on fait dans le même temps une très bonne impression auprès du lectorat. Après tout, c’est ce qui compte : enchanter ses lecteurs.

  De mon temps, les expressions telles que « ouin-ouin de tous les diables » ou « fameuses idées de génie » ne faisaient pas partie du vocabulaire de l'enfant moyen, ni je n'ai jamais entendu de professeur sortir un « appât frénétique » suivi de « je, je... brrloum brrloumpff » (expression typique de Wilkie !).

  Quant à l'argot, ça m'appartient en entier, explique Buckeridge. À l'époque où j'ai écrit ma première pièce pour la radio, j'ai commis une grosse erreur en utilisant le langage argotique qui n'était plus à la mode. Aussi loin que vous vous en souvenez, j'employais de l'argot de guerre, mais je me suis brusquement rendu compte que cela n'allait pas du tout ; aussi ai-je supprimé ce charabia pour inventer un vocabulaire bien à moi : d'où l’expression imagée comme « hameçons fossilisés ». Je ne suis cependant pas au courant des expressions modernes, mais je crains que cela ne soit pas possible, car, qui sait si elles ne vont pas disparaître du jour au lendemain ! »

  On peut affirmer que Bennett fait partie des enfants de première classe de la littérature humoristique destinée à un jeune public. Il n'est ni collégien héroïque ni anti-héros satirique. Buckeridge, admirateur de Molesworth de Willans & Searle et de William de Richmal Crompton, fait remarquer :

  « L'humour de Molesworth, voyez-vous, passionnera tout lecteur... à petite dose ! Mais si le livre fait plus de 50.000 mots, il ne faut pas s'étonner si le lecteur se lasse. »

  Peut-on alors dire que William, de Richmal Crompton, a beaucoup de points communs avec Bennett ? L’humour qui se dégage des livres de Bennett est-il comparable à celui des William ?

  « Ma foi, non ! Je trouve que William est un garçon des plus rebelles. Et il l'est ! C’est d’ailleurs la première chose que l'on constate à la lecture d'un livre sur William. Celui-ci est anti-autoritaire. Bennett, au contraire, n'est pas un garçon indocile ; en règle générale, il a des ennuis parce qu'il tombe à la renverse pour remettre les choses, qui vont de travers, à leur place. C'est la faute de Bennett, si, d'abord, les choses ne tournent pas rond. Mais jamais il ne sort d'une situation impossible sans qu'il réussisse à reprendre le dessus du professeur Wilkins qu'il manie avec habileté. C'est grâce à sa débrouillardise et au hasard (qui fait bien des choses !) que Bennett peut s'en tirer à si bon compte. Certes, il joue des tours à ce « tonitruant » professeur sans pour autant se montrer rebelle. »

  Que font actuellement Bennett et Mortimer dans la vie, à votre avis ?

  « Heu... il y a de grandes chances pour que Bennett s'exerce vétérinaire, et que son compagnon travaille comme bibliothécaire. Mais je m'arrête tout de suite, car rien ne dit que j'ai raison. »

  De fait, il est vrai que le lecteur ne sait pour ainsi dire rien au sujet de la vie hors pension des élèves et professeurs de Linbury Court.

  « Je ne suis point mes personnages hors des murs de la pension. Et puis, à quoi bon ? Si on écrit des histoires d'école, les lecteurs aiment lire celles-ci 24 heures sur 24. Il faut toujours s'y borner. Sinon, on rend un récit qui sonne faux et on finit par compliquer les choses. »

  Cependant, une chose, ai-je suggéré à Buckeridge, est certaine : Bennett et Mortimer demeureront amis à jamais... quoi qu'ils fassent, où qu'ils soient.

  « Je n'en sais rien ; ce n'est d'ailleurs pas à moi qu'il faut poser la question. De tous les garçons du collège, j'étais particulièrement proche de l'un d'entre eux, pour le reste de ma vie. J'ai parfois même l'occasion d'en rencontrer un... mais je me dépêche d'ajouter que je préfère garder mes distances. »

  Cela est-il chose croyable ? N'est-ce pas que l'amitié entre Ben et Morty ressemble à celle des tourterelles ? Bien que je déteste contredire le Maître, je crois devoir dire que Buckeridge n'a sûrement pas raison là-dessus. La preuve ? Je fais appel à mon témoin illustre, le directeur M. Pemberton-Oakes en personne :

  « On dit toujours, au collège de Linbury, que si l'on cherche Bennett il suffit de trouver Mortimer, et inversement, n'est-ce pas, monsieur Wilkinson ? Ces deux garçons sont inséparables. »
Voilà - les paroles prononcées par Monsieur le Directeur lui-même - in-sé-pa-rables !

Il n'y a aucun doute là-dessus !

   

Propos recueillis par : Mat Coward


L'édition originale de cette interview a paru en langue anglaise dans Million (mars 1992), Londres, sous le titre : "Clodpolls and Coots"

Le texte français de cette interview est dû à : Srikrishnan Srinivasan 


Les textes mis en bleu sont d'Anthony Buckeridge 



 

Il ne nous a pas été possible de trouver les coordonnées de M.  Mat Coward afin de le contacter.

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